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Coût du capital, hydre multicéphale. L’argent public mis à contribution.

MEDIAPART 16 septembre 2016
Pour de nombreuses entreprises, le travail n’est rien de plus qu’une ligne dans la colonne "dépenses". Son coût gréverait la compétitivité des entreprises. L’Allemagne, volontiers prise comme modèle, ne doit sa compétitivité actuelle qu’à l’ensemble des efforts que les lois Hartz ont imposé aux salariés, jusqu’à paupériser et précariser une bonne partie d’entre eux. Dans tous les pays, cet écrasement des salaires se fait au profit des actionnaires et de la finance, qui capte le surplus de richesse produit : ainsi a fait son chemin la notion de coût du capital.

La CGT a fait de ce concept son cheval de bataille : c’est la financiarisation de l’économie, avec pour conséquence une explosion des dividendes et intérêts, qui entrave le développement des entreprises. En 1981, dit la CGT, les salariés consacraient 12 jours par an à l’actionnaire contre 45 jours aujourd’hui. Cette forme de parasitisme, basé sur les exigences des actionnaires d’une rentabilité à 15%, aux dépens de l’investissement des entreprises et de la part de la rémunération des salariés, qui a perdu 10% de la valeur ajoutée entre 1980 et 2006, s’inscrit en filigrane dans beaucoup d’affaires concernant les entreprises. Différentes informations recueillies depuis deux ans permettent d’en cerner tous les aspects.

Les fonds vautours se nourrissent de la faillite des entreprises

Il n’y a pas pire calamité pour une entreprise que de tomber sous la coupe d’un fonds d’investissement : leur position majoritaire leur permet de saigner les entreprises au delà de tout bon sens à l’instar de cette entreprise de la Sarthe soumise à la dictature de trois fonds de pension qui en avaient pris le contrôle : ceux-ci avaient imaginé d’endetter l’entreprise à raison d’une année de son chiffre d’affaire, afin de se servir des dividendes exceptionnels. Cette exigence équivalant à une condamnation à mort de l’entreprise, les deux dirigeants ont refusé net... et ont été débarqués, puis heureusement réintégrés devant le tollé provoqué par l’affaire. Mais toutes les histoires ne se terminent pas aussi bien : dans une édition de Cash Investigation, Elise Lucet nous rapporte le cas d’une usine Sansonite qui a fermé dans le Nord de la France par décision de l’actionnaire principal, un fonds de pension américain. L’émission explique la "stratégie" utilisée par le fonds de pension pour que la fermeture génère un maximum de profits pour les actionnaires.

L’argent public mis à contribution

Le comble, c’est que l’argent public apporte de fait son soutien à ces pratiques : dans le cas de Mory-Ducros, entreprise faisant originellement partie du groupe DHL et passée dans l’escarcelle d’un fonds d’investissement à la suite de tribulations magouillardes à la suite desquelles elle est devenue Mory Global, l’entreprise a bénéficié d’une aide d’état sous forme d’un prêt qui s’est ajouté au financement des indemnités de licenciement par l’AGS. Dans le cas de Sansonite, déjà évoqué plus haut, c’est également l’argent public qui finance directement la prise en charge des indemnités de licenciement.

Des mesures d’aide aux entreprises qui ne profitent ni à l’emploi, ni à l’investissement

Médiapart a récemment dressé un tableau accablant sur l’efficacité des aides d’état allouées aux entreprises sous forme de crédits d’impôt. Ces aides sont principalement octroyées par deux mécanismes : le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et le crédit d’impôt recherche (CIR).
Un rapport sénatorial a récemment pointé du doigt l’inefficacité de ces mesures, qui ratent complètement leur cible, puisqu’elles profitent pricipalement aux grandes entreprises et en particulier aux actionnaires de celles-ci. L’exemple de SANOFI est démonstratif : cette entreprise cumule CICE et CIR, alors qu’elle ferme des laboratoires et licencie, tout en servant à ses actionnaires des dividendes gonflés. Ainsi, il n’y a pas que les fonds de pension qui profitent des aides d’état, sans qu’aucune contrepartie en termes d’emplois et d’investissement ne soit apportée.

La complicité du Ministère des Finances

Nous avons récemment appris avec la transaction sur l’aéroport de Blagnac comment Emmanuel Macron, alors ministre des finances, avait cédé une partie des parts de l’état à un fonds de pension chinois, tout en lui assurant au Conseil d’Administration une majorité de fait, grace à un accord secret passé entre l’état et l’investisseur. Le fonds de pension chinois en profite pour tenter de se faire verser des dividendes exceptionnels, prélevé sur des réserves dues à une bonne gestion qui n’est pas de son fait. Une opération similaire est en cours sur d’autres aéroports. Pour redresser les finances publiques, l’état passe sous les fourches caudines de la finance privée, exactement comme en Grèce, mais sans l’avouer. C’est aussi cela le coût du capital !

Le Dart Vador de Wall Street

C’est "le côté obscur de la force", symbolisé par un empire financier qui s’est créé sur les décombres de l’économie réelle et sur la ruine des états : la banque Goldman-Sachs.
Celle-ci, dès avant la crise de 2008, avait étendu ses tentacules jusqu’au sein du gouvernement américain : est-ce un hasard si l’état, au moment de la crise des subprimes, a laissé couler la banque Lehman-Brother, tout en renflouant Goldman-Sachs. Non pas, c’est parce que cette dernière avait des gens à elle parmi les décideurs. C’est aussi parce qu’elle exerçait -et exerce encore - un puissant lobbying auprès des institutions américaines.
Cette institution bancaire, dont la seule éthique est de ruiner ses propres clients comme lors de la crise de 2008, s’est aussi attaquée aux états : l’exemple le plus flagrant est celui de la Grèce, que la banque a conseillé au moment de son adhésion à la zone euro, dans le but avoué de trafiquer ses résultats afin qu’elle remplisse les critères de Maastricht. La banque a, au passage, empoché de confortables honoraires et s’est aussi assuré la main basse sur une partie des finances publiques grecques. Aujourd’hui, grâce aux assurances qu’elle a prises pour se couvrir contre le risque de la dette grecque, elle spécule sur celle-ci.
Cet empire financier, après avoir investi les institutions américaines, s’est attaquée à l’Europe : son lobbying est particulièrement intense auprès de la Commission Européenne, qui a laissé mener les opérations sur la Grèce avec un silence complice. Plusieurs dirigeants européens sont passés par cette banque, Goldman-Sachs ayant même réussi à placer un de ses anciens à la tête de la BCE. Récemment, elle s’est assuré les services d’un ancien président de la Commission Européenne, adepte de l’austérité pour tout ce qui n’est pas lui-même, qui, sans plus d’éthique que son nouvel employeur, s’apprête à assister Goldman-Sachs dans ses délits d’initiés permanents. C’est donc toute l’Europe qui se trouve gangrénée par des conflits d’intérêt permanents qui nous viennent de New York. Comment Junker peut-il s’étonner de la défiance croissante des citoyens vis-à-vis d’institutions européennes à ce point vendues aux escrocs et aux spéculateurs ?

Les menaces venant du grand capital ne pourront être conjurées que si les états reprennent la main.
La lutte contre les fonds vautours passe par des mesures nationales qu’il serait facile de mettre en place. Les enseignements tirés des différentes affaires permettent de suggérer un train de mesures à adopter. C’est uniquement une question de volonté politique.

Les crédits d’impôt aux entreprises ayant raté leur cible et servi surtout à engraisser les actionnaires, il est nécessaire de repenser l’ensemble et de faire un ciblage sur les entreprises, dont l’activité n’est pas délocalisable. De préférence les petites entreprises, car ce sont elles qui sont génératrices d’emplois en France. Or, celles-ci sont particulièrement vulnérables, en particulier à cause des impayés. La caisse des dépôts et consignation pourrait les garantir contre les défauts de paiement en reprenant à son compte les dettes non récupérées et en poursuivant les débiteurs indélicats.

En ce qui concerne la toute-puissance de Goldman-Sachs, Karine Berger nous fait remarquer qu’aucune mesure de séparation des banques d’investissement et des banques de dépôt n’atteindra son but : la pieuvre géante Goldman-Sachs n’ayant aucun secteur de banque de dépôt, aucune loi de ce type ne peut l’atteindre.
La moindre des choses seraient de durcir les règles de déontologie nationales et européennes : aucun dirigeant ne devrait avoir de liens avec le lobby bancaire ni avant, ni après sa prise de fonction.
C’est aussi en lui faisant perdre de l’argent et en mettant ses dirigeants en prison qu’elle peut être combattue. Par exemple, ce qui est dit plus haut suffit pour déclarer la dette de la Grèce illégitime et la restructurer d’autorité, après l’avoir annulée en partie ou en totalité. Mais ceci ne peut être imposé que si l’Europe fait preuve d’une solidarité entre les états qu’elle n’a guère manifestée jusqu’alors et fait bloc contre l’hydre multicéphale.

Article publié le 20 septembre 2016.


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