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Face à LVMH, le fisc coincé dans ses contradictions

Bercy a renoncé à une procédure en justice contre le groupe de luxe, lancée en 2019 pour des soupçons de fraude fiscale. L’administration a opté pour un « partenariat fiscal ». Un cas qui met à l’épreuve la stratégie de l’État face aux grands groupes.

En septembre 2019, pas moins de 66 agents du fisc débarquent dans plusieurs locaux parisiens de LVMH et s’emparent de plus d’un million de documents. Cette perquisition vise à vérifier des soupçons de fraude fiscale, que Bercy nourrit à l’égard d’une filiale belge du groupe de luxe.

Mais malgré cette opération, d’une ampleur exceptionnelle, l’État n’a jamais pu exploiter les documents saisis. Initialement parce que LVMH a rapidement contesté la légalité de cette visite impromptue, forçant le fisc à rendre son butin. Et ensuite, parce que l’administration a tout simplement abandonné.

Cette dernière a pourtant bataillé en justice pour remettre la main sur les pièces capturées. En février 2023, elle a même obtenu en Cour de cassation le droit de les redemander. Cependant, d’après plusieurs sources, la Direction générale des finances publiques (DGFIP) a finalement renoncé à tenter sa chance.

« Le recours a été abandonné par la DG pour diverses raisons », affirme la CGT Finances publiques, ce qu’un autre syndicat a confirmé. « À ce jour, la cour d’appel n’a pas été saisie à la suite de l’arrêt de cassation », a par ailleurs indiqué la cour d’appel de Paris à Mediapart. Pour le moment, les soupçons de fraude n’ont donc jamais pu être vérifiés.

Ce flop du fisc – qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations – illustre les contradictions de l’administration publique à l’égard des grands groupes français. Et en particulier vis-à-vis du groupe contrôlé par Bernard Arnault. Depuis la loi Essoc de 2018, le gouvernement souhaite se montrer accommodant avec les entreprises en matière fiscale.

Un nouveau dispositif, le « partenariat fiscal », doit y participer. Bercy en a signé un avec LVMH fin 2022.

Lancée quand Gérald Darmanin était ministre des comptes publics, l’initiative vise à développer « une meilleure confiance réciproque des deux parties », notamment « dans l’engagement de transparence des entreprises volontaires » et « dans la capacité de l’administration à comprendre les contraintes de la vie économique ». Au même moment, comme Mediapart l’avait révélé, une note de service de Bercy incitait les agent·es à œuvrer en faveur d’« une conclusion apaisée des contrôles fiscaux ».
Redressement fiscal

Certains fonctionnaires trouvent la démarche incohérente. « Je suis un peu perplexe d’entendre qu’on a d’un côté des perquisitions, une bataille juridique qui s’engage, et au milieu de tout cela, on conclut un partenariat. Ça pose question », partage ainsi une représentante syndicale de la DGFIP, qui a souhaité rester anonyme. Car selon les textes du ministère de l’économie lui-même, le partenariat ne peut avoir lieu qu’avec des entreprises « qui respectent leurs obligations légales et coopèrent avec l’administration ».

Or au moment de la signature du partenariat avec LVMH, Bercy est encore engagé dans une procédure montrant clairement que le géant du luxe est soupçonné de fraude fiscale. D’autant que l’entité ciblée est une structure cruciale pour le groupe : il s’agit de sa banque interne, domiciliée en Belgique, qui centralise les flux de trésorerie de l’intégralité de ses marques, totalisant 4,5 milliards d’euros de capitaux propres, et 70 millions de bénéfices en 2022. La DGFIP se demande alors si cette centrale de trésorerie ne devrait pas déclarer des impôts en France.

D’après LVMH, la perquisition n’avait pas lieu d’être. La Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises, « avait déjà contrôlé cette entité belge à plusieurs reprises », argumente le directeur financier Jean-Jacques Guiony. Selon la défense du groupe en justice, le fisc n’avait alors rien trouvé à redire. L’irruption d’un autre service fiscal, la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), compétente pour mener des perquisitions, leur paraît donc incompréhensible.

Si ces affirmations sont exactes, elles soulèvent de sérieux doutes quant à la stratégie de Bercy. Le fisc aurait en effet utilisé pour rien des moyens humains et financiers substantiels pendant trois ans, dont une procédure de perquisition fiscale qualifiée d’« extraordinaire » au sein de la DGFIP. LVMH précise qu’aucun contrôle fiscal ni règlement d’ensemble n’aurait suivi cette perquisition.

Le directeur financier de LVMH reconnaît tout de même qu’un autre contrôle fiscal a bien eu lieu autour de la filiale belge, et même qu’un « redressement fiscal significatif » a été finalement payé par le géant du luxe « fin 2022 », sans vouloir en préciser le montant. Mais le redressement portait sur un sujet distinct de la domiciliation : l’administration a réévalué le taux d’imposition des flux financiers entre certaines sociétés françaises du groupe et la centrale de trésorerie belge.
« Faire pression »

Si la perquisition avait un fondement aux yeux du fisc, pourquoi avoir abandonné les documents qu’il aurait finalement pu exploiter ? Selon plusieurs sources syndicales, la crainte de perdre en justice – et donc de créer une jurisprudence délétère pour Bercy – a pu jouer. Selon un agent bien informé, cette procédure n’a peut-être été qu’un outil passager pour « faire pression » sur LVMH, afin de lui faire signer le partenariat fiscal.

« Soit vous menez un contrôle fiscal, et ça prend des années, sachant qu’il y a plus d’un million de documents et des dizaines de filiales concernées, explique cet agent. Tandis que par le biais du partenariat, vous obtenez plus facilement des éléments de LVMH. Et si la DGFIP estime que le partenariat est suffisamment avantageux, elle laisse tomber l’autre procédure. » La direction financière de LVMH affirme de son côté que le litige autour de la perquisition n’a jamais été abordé dans le cadre du partenariat.

Le pari du coup de pression était-il gagnant ? Impossible de le savoir : le partenariat et le contrôle sont couverts par le secret fiscal. LVMH et l’administration en font une application zélée. La maison mère de Louis Vuitton semble en tout cas acquise à la cause du pacte de confiance signé en 2022 : « Le partenariat est la façon, à terme, de nous simplifier davantage la vie », affirme une source du côté du groupe.

« Je suis assez fan du partenariat, c’est beaucoup plus simple et beaucoup plus sain avec l’administration fiscale. C’est une relation gagnant-gagnant. On a la possibilité de poser des questions sur des points de fiscalité, et quand une position commune a été trouvée, en cas de contrôle ultérieur, l’administration n’a pas la possibilité de contester la position prise », se réjouit le directeur financier Jean-Jacques Guiony. Il assure que la « transparence » de ses équipes vis-à-vis de l’administration est totale, et que la relation serait « équilibrée » puisque, en retour, le fisc a « l’arme pénale à la main ».

Le tout s’inscrit dans une vision plus large des évolutions fiscales que LVMH souhaite véhiculer, selon laquelle l’optimisation, et a fortiori la fraude, seraient en voie de disparition. Selon le directeur financier, « faire de l’optimisation fiscale n’a plus aucun sens pour une entreprise européenne » du fait de « la convergence des taux d’imposition dans les payes de l’OCDE ».
La chute de l’histoire belge

La thèse de l’équilibre des forces entre Bercy et les grandes entreprises ne convainc pas tous les agents du fisc. Pour ce qui est du contrôle fiscal et des procédures en justice comme de la négociation des partenariats, les moyens de la DGFIP sont bien inférieurs. « Le partenariat donne des garanties un peu hors norme aux entreprises. Or on sait bien qu’elles ont toujours un coup d’avance sur nous, donc on ne sait jamais si elles nous disent tout », remarque l’un. D’autres questionnent « l’opacité » permise par le partenariat.

Quant à la centrale de trésorerie belge de LVMH, elle a déménagé en France en octobre dernier. Le groupe explique que la personne qui la dirigeait prenait sa retraite, et que la domiciliation en Belgique contraignait les emprunts du groupe sur les marchés.

Le groupe de luxe admet volontiers avoir eu « un intérêt fiscal » en domiciliant initialement sa banque interne dans le royaume voisin. Sa direction souligne que nombre de grands groupes faisaient de même, et affirme que cette organisation était légale. Mais les choses ont changé depuis 2016 : Mediapart avait raconté comment la Commission européenne a mis un terme à la pratique belge dite des « bénéfices excédentaires », très avantageuse pour les multinationales.

Jean-Jacques Guiony reconnaît que depuis cette date, garder la banque interne en Belgique n’avait « plus d’intérêt » en matière d’optimisation fiscale. Le directeur financier dément néanmoins que les aspects fiscaux ont joué un rôle dans le déménagement en France.

Florence Loève

Sur l’évasion fiscale des multinationales :

Fédération des finances CGT : la grande évasion continue !

communique_fd_evasion_fiscale_24102023.pdf (cgtfinances.fr)

Observatoire des multinationales : Observatoire des multinationales - Enquêtes et veille citoyennepour la démocratie économique

14,3% des filiales du CAC40 sont localisées dans des paradis fiscaux :

14,3% des filiales du CAC40 sont localisées dans des paradis fiscaux - Observatoire des multinationales

Le Pognon de Dingue des aides aux entreprises sans conditions , des dizaines de milliards d’euros sans conditions

 : AllôBercy (multinationales.org)

Article publié le 4 janvier 2024.


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